RELAPS

Publié le par fedor

  Encore une très vieille histoire puisée dans mes archives. Nostalgie, quand tu nous tiens !   
                                           

           Un jour, ils en ont eu marre. Ils se sont regroupés, partout, sans mot d’ordre. Ils se sont simplement assis dans les rues, sans violence, sans paroles. A Paris, à Washington, à Moscou, à Londres, dans toutes les capitales, dans toutes les villes importantes, ils se sont rassemblés.

Qui ? Les gens tout simplement, les gens comme vous et moi, les gens communs. Ils en avaient marre. Marre ? Mais de quoi ? Eh bien de tout ce qui n’allait pas sur cette bonne vieille terre, tout bonnement. Ils étaient fatigués de tout leurs maîtres, leurs présidents, leurs chefs d’Etat, leurs hommes politiques, tous ces hommes qui sous prétexte de soigner la terre l’empoisonnait lentement mais sûrement. Et un jour, comme ça, sans prévenir, ils se sont rassemblés et ont occupé les villes, un brin d’herbe à la main.

          Les autorités compétentes, prévenues aussitôt, ont essayé de prendre la situation en main. A Paris, d’importantes forces de police ont été chargés d’encercler les manifestants. Quelques heures après, les effectifs avaient fondu, les hommes rejoignant tous les gens assis dans la rue et semant leurs uniformes aux quatre vents, si bien que toute la journée, le préfet de police essaya de les rassembler, avant de rejoindre lui-même les occupants, comme on commençait à les appeler.

          A Londres, les bobbies posèrent leurs longs casques sur les grilles de Buckingham Palace et forcèrent la reine à prendre le thé avec les occupants.

          A Moscou, la milice essaya vainement de rassembler ses effectifs avant d’annoncer au Kremlin son impossibilité à contrôler la situation.

          A Washington, la pagaille monstre empêchait même les différents fonctionnaires gouvernementaux de correspondre entre eux.

          En quelques heures, les gouvernements du monde entier furent totalement débordés et incapables de faire face à la situation.

          Le président des Etats-Unis se décida à décrocher le téléphone rouge et à appeler son homologue du Kremlin.

          Après un instant de gêne, les deux hommes qui quelques heures auparavant possédaient encore le pouvoir suprême, convinrent de leur impossibilité commune à contrôler les occupants. Ils proclamèrent que la situation était grave et embarrassante, mais ils décidèrent que les occupants n’avaient pas les moyens de poursuivre longtemps leur action, et qu’ils ne devraient patienter que quelques jours avant de reprendre en mains les rênes de leur pays. Ils se quittèrent, contents l’un de l’autre, chacun affichant hautement qu’il avait imposé son point de vue à son interlocuteur.

          Le lendemain, les journaux s’efforcèrent de minimiser l’événement, suivant en cela les directives gouvernementales. Ils durent pourtant avouer que quarante à cinquante pour cent des salariés suivant les pays n’étaient pas à leur travail. On recensait dans le monde plus de vingt millions d’occupants, dont trois millions à Paris, cinq à Londres, sept à  Moscou, encore plus à Washington et presque autant dans toutes les grandes villes.

          A la fin de la semaine, leur nombre avait doublé et au bout de quinze jours, plus de quatre-vingt pour cent de la population mondiale avait déserté ses occupations pour envahir les grandes viles et protester silencieusement.

          Les gouvernements durent s’avouer vaincus. Ils démissionnèrent en bloc et laissèrent la place à l’ordre nouveau. Les occupants, enfin, se relevèrent. La joie transfigurait leurs visages harassés. En quinze jours,, ils avaient réussi à faire ce qu’aucun prophète, aucun chef d’état n’avait réussi depuis plus de deux mille ans. Ils pouvaient maintenant œuvrer pour la construction d’un monde meilleur. Tout de suite, des questions multiples se posèrent et surtout que serait exactement l’Ordre Nouveau ? Il fut décidé, par une consultation massive de tous les habitants de la planète qui dura plusieurs mois, que chaque partie du monde aurait des représentants à une gigantesque assemblée ? Ces représentants seraient élus par tous les habitants du monde. Cette assemblée mondiale se chargerait d’édicter les nouvelles lois, les nouveaux principes, de cette nouvelle société.

          Aussitôt qu’on connut les résultats de la consultation, tous les partis politiques de tous les pays, qui avaient été totalement surpris par l’occupation des villes, se mirent en campagne afin d’avoir des représentants à cette gigantesque assemblée.

           Le gâteau était de taille et tous en voulaient une part ! En Amérique, de violents affrontements avaient lieu entre républicains et démocrates. En Grande-Bretagne, travaillistes et conservateurs essayèrent de trouver un accord avant de mener la lutte chacun de son côté. En France, les retournements de veste étaient si fréquents qu’on ne savait plus qui était pour qui. En Union Soviétique, le parti communiste auparavant unique était tombé dans une telle minorité qu’il ne put même pas organiser un débat télévisé.

          Enfin, les élections eurent lieu. Et les erreurs recommencèrent. Tous les partis politiques du monde eurent leurs représentants. Ils se réunirent tous dans une gigantesque salle construite pour eux. Avant même la fin de la première séance, la moitié des participants avaient quitté la salle, à la suite de discussions orageuses entre membres des différentes tendances. Les membres de l’assemblée mirent ensuite plusieurs mois pour nommer un président.

          Pendant tout ce temps, les habitants du monde ne bougèrent pas, pleins de bonne volonté et décidés à accorder une chance à leur assemblée

          Mais bientôt se distinguèrent au sein de cette assemblée trois factions différentes ; les tendres, les durs et les indécis. Chaque loi proposée par les tendres était refusée par les durs, et les durs ne pouvaient proposer un décret sans le voir refuser par les tendres. Les indécis, quant à eux, allaient de l’un à l’autre bord sans pouvoir se décider utilement.

          Les représentants, obnubilés par leurs importantes réunions, en vinrent à oublier le but de leur assemblée et multiplièrent les décisions injustes et absurdes qu’ils firent appliquer à l’aide de leur armée, qu’ils baptisèrent pompeusement « armée de la paix ». Cette armée se fit rapidement connaître par des exactions de toutes sortes, et les gens n’osèrent plus murmurer contre ce gouvernement de fer.

          Peu à peu, ils retombèrent dans leur servitude ancienne. Les libertés furent limitées par des décrets soigneusement choisis. On ferma des universités, on brûla des livres, on emprisonna des prix Nobel de la paix, on exécuta quelques protestataires, on limita le nombre des journaux. Enfin, on créa un parti unique, les opposants ayant le choix entre adhérer au parti ou une exécution pure et simple.

          Au début, des gens essayèrent de protester, quelques timides révoltes éclatèrent, mais elles furent sauvagement noyées dans un bain de sang. Et, peu à peu, les hommes s’habituèrent à la terreur. Ceux qui s’étaient levés, ceux qui avaient trouvé le courage de protester, étaient désormais fatigués. Et la Terre s’enfonça dans son malheur. Une ère de désespoir s’abattit sur le monde. Mais pourtant, pourtant, quelque part, dans une vallée reculée cernée de hautes montagnes, un vieillard s’était retiré avec son petit fils, et il l’éduquait. Il lui apprenait le mot liberté, et il savait qu’un jour, il parcourrait le monde et réapprendrait aux hommes à espérer, à lutter ! Mais après, serait-il un libérateur ou un dictateur ? Seul l’avenir le savait…

 

 

                                                                    

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