mort center (27)

Publié le par fedor

            Ils ne quittèrent pas le tunnel par l’endroit où ils étaient arrivés. Une autre galerie, un peu moins travaillée, les emmena vers une sortie discrète. Là, ils prirent place dans deux véhicules qui les attendaient. Puis, ils prirent la direction de la ville.

Dans les voitures, tous se taisaient. Lev se demandait à quoi pensaient ses camarades. A la mort, à la gloire, à la liberté, à rien. Lui-même était partagé entre l’exaltation de l’action tant attendue, l’inquiétude pour Julia qui lui tenait la main comme si c’était la chose la plus importante du monde, et la peur d’échouer aussi.

Le trajet ne fut pas très long. Ils se garèrent dans un parking souterrain et parcoururent à pied la distance qui les séparait de leur objectif.

            Le quartier où se trouvait l’émetteur était hautement sécurisé. Après tout, la télévision était le vrai centre du pouvoir du gouvernement. Des patrouilles passaient fréquemment devant la lourde porte flanquée de deux guérites abritant chacune un garde à l’air revêche. Une large cour se dessinait derrière la porte, au fond de laquelle se dressait l’émetteur, tandis que les bâtiments de contrôle, semblables à des hangars longs et bas, sans ouvertures autres que des fenêtres en forme de meurtrières et des portes blindées à l’aspect menaçant, étaient disséminés au hasard dans la cour.

Lambert émit un petit sifflement.

« -Ben, c’est pas gagné ! »

« -Allons, pas de défaitisme ! Il aurait pu pleuvoir en plus ! »

« -Très drôle ! »

« -Bien. Voici mon plan. Kraft, Mourand, Lambert, Groot, vous faites diversion. Et n’hésitez pas à faire du bruit. »

« -Pas de problèmes ! »

« -Compte sur nous ! »

« -C’est vrai, on peut… ? »

« -Merci Seigneur, notre créativité va enfin pouvoir s’exprimer ! »

« -Euh, doucement quand même. Ne détruisez pas l’émetteur, on en a besoin. Et si je trouve le moindre truc un petit peu nucléaire, ça va barder ! »

« -Ca va péter même ! » ajouta Mourand d’une voix angélique.

« -Bon. Le professeur Vandevoer, Julia, Lev, et moi-même, nous essaierons de trouver la salle de contrôle principale. Discrètement. »

« -Discrètement ? C’est d’un triste. » Murmura Kraft

« -D’un autre côté, les rôles sont bien partagés non ? »dit Mourand d’un ton gourmand.

« -Bien. Messieurs, mademoiselle, je n’ai rien à ajouter. Nous resterons en contact grâce à ces petits émetteurs à ondes courtes indétectables. L’équipe de diversion, à vous de jouer. Il faut que nous entrions sans nous faire remarquer. Ensuite… »

« -Ensuite, on se fera remarquer ! »

Ils attendirent le passage d’une patrouille puis se mirent en mouvement.

 

            Les deux gardes dans les guérites tournèrent la tête d’un même élan vers le spectacle qui se présenta soudain devant leurs yeux. Quatre hommes avançaient vers eux. Un petit homme marchait devant, affichant un air digne un peu ridicule tandis que deux autres en soutenaient un troisième, l’air visiblement éméché. L’étrange quatuor se rapprocha des gardes.

« -Halte. N’avancez pas ! »

Monsieur Groot continua d’avancer comme si de rien n’était. Il s’arrêta à deux pas du garde qui serra nerveusement la crosse de son fusil.

« -Bonsoir, jeune homme. Ôtez-moi d’un doute. Cet endroit est bien le siège de la télévision ? »

« -Euh, oui, mais… »

« - Eh bien auriez-vous l’amabilité de vous écarter de cette porte devant laquelle vous stationnez inconsidérément, afin que mes amis et moi-même ayons la possibilité d’entrer en ce lieu ? »

« -Ah, mais non ! Mais non ! Ca ne va pas être possible ! »

« -Mais pourquoi donc ? »

Le deuxième garde s’était rapproché tandis que Lambert jouait toujours les ivrognes avec un talent qui ne devait rien à un rôle de composition. 

« -Eh bien, mais parce que…euh…et puis d’abord, qu’est-ce que vous voulez faire à la télévision à cette heure-ci ? »

« -Oh, ce n’est pas moi. C’est pour mon ami ici présent. »

Monsieur Groot désigna Lambert d’un geste théâtral tandis que ce dernier s’appliquait à prendre une tête d’abruti du plus bel effet.

« -Et qu’est-ce qu’il veut votre ami ? Mais il a bu ! »

Lambert leva la main en signe de protestation.
 »-Nan, j’ai pas bu. Et pis si j’ai bu, c’est sa faute ! »

Le garde avait l’air complètement ahuri.

« -La faute à qui ? »

« -Sa faute à elle ! »

Lambert désignait l’affiche publicitaire qui s’étalait sur le mur d’en face où souriait complaisamment une blonde animatrice de télévision.

« -A elle ? Mais… »

« -Je s’uis amoureux mon pote, ouais. Cette nana, c’est la femme d ma vie. Va m’la chercher, vieux, j’t’en serai éterni…éterna…toujours reconnaissant.

« -Mais enfin, ça ne va pas non ? C’est impossible ! »

« -Pourquoi ? »

« -Mais enfin, cette dame travaille ici. Elle n’y vit pas ! »

« -Si, je l’ai vu y’a pas une heure à la télé. Elle est ici. Chériiiie ! »

« -Mais arrêtez de crier comme ça ! C’était une émission enregistrée. Maintenant, filez où je vous fais embarquer ! »

« -Ah, tu vois, je te l’avais bien dit. Bon, on rentre. »

« -Nan ! »

« -Mais sois raisonnable ! »

« -Nan ! J’veux l’épouser ! »

« -Allons viens, sinon monsieur l’officier va appeler quelqu’un pour t’embarquer ! »

« -M’en fiche. A bas l’armée et la police ! »

« -Ah c’est comme ça ! »

Le garde furieux sortit une clé et ouvrit la porte.

« -Chef, chef, y’a là des excités… »

Ce furent ses dernières paroles.

            Dès qu’ils virent que la porte était ouverte, Kraft et Mourand lâchèrent Lambert dont l’ivresse disparut miraculeusement. Kraft mit la main dans sa poche et en ressortit une boîte qu’il jeta vers les gardes. Les deux gardes de l’entrée, puis ceux qui se trouvaient derrière la porte prêts à intervenir défuntèrent brusquement, leur entraînement, quoique très poussé, ne les ayant pas préparés à contenir l’assaut de tarentules génétiquement modifiées.

Kraft ne se sentait plus de joie.

« -Mes bébés, mes amours. Oh, comme elles sont mignonnes ! Et quelle efficacité ! Ca vous tue son homme en moins de deux secondes. Elle est pas belle la vie ! Et dire qu’on a toujours refusé de me les homologuer au Mort-Center. Je me demande bien pourquoi ?

« -Euh, au fait…comment on les récupère tes bestioles ? »

Kraft prit un air songeur.

« -Ah, oui, c’est peut-être pour ça qu’on me les a refusés. Euh, faites attention où vous marchez, elles ne sont pas méchantes, mais… »

« -Oui d’accord ! C’est dommage qu’on ait pas pris Papillon, elle n’est pas méchante pour une femelle grizzly, mais… »

« -Bon, je me suis peut-être laissé emporter par l’enthousiasme, mais reconnaissez qu’elles sont efficaces ! »

« -C’est le moins qu’on puisse dire. Bon, voilà les autres. Allons-y. On va attirer l’attention sur nous. »

« -Avec plaisir ! »

Lev, Tony, Julia et Vandevoer pénétrèrent rapidement dans l’enceinte. Ils longèrent le mur intérieur afin de profiter de son obscurité et se mirent à chercher le bâtiment qui les intéressait.

Pendant ce temps, Mourand avait préparé un petit feu d’artifice de sa composition.

« -Qu’est-ce que c’est ? » interrogea monsieur Groot.

« -Oh, de la diversion. Beaucoup de diversion. Je nous suggère de nous éloigner. Rapidement ! »

Les quatre hommes se mirent à l’abri d’un hangar. Juste à temps. Une explosion déchira l’espace dans un bruit assourdissant. Un cratère impressionnant s’ouvrait à la place où ils se tenaient l’instant d’avant. Le souffle de l’explosion les jeta à terre et souffla une baraque qui se trouvait sur son chemin.

Mourand en bégayait d’enthousiasme.

« -Ah ben ça, pour de la belle diversion, c’est de la belle diversion. »

Tony se faisait à peu près la même réflexion, mais en bougonnant entre ses dents et en traitant ses camarades de divers noms d’oiseaux plus exotiques les uns que les autres.

« -Je leur demande de faire diversion et ils font péter la moitié de la ville. Non mais je te demande un peu… »

Lev ne répondit pas et plaqua son camarade contre un mur, faisant signe à Julia et Vandevoer d’en faire autant. Quelques soldats passèrent devant eux en courant, l’air abruti et mal réveillés.

« -En tout cas, ça marche. Ceux-là, on ne les aura pas devant nous. »

« -Ils attirent toute la garnison à eux. Tu crois qu’ils ont une chance de s’en sortir ? S’inquiéta Julia. »

« -Les soldats ? Aucune ! »

Lev exagérait bien sûr. Il s’inquiétait pour ses amis mais ne voulait surtout pas le montrer à Julia. Le plan de repli était sommaire et l’ennemi nombreux. Ils leur faudrait beaucoup de chance pour accomplir leur mission et réussir à s’enfuir. Presque un miracle. Il se concentra sur sa mission et inspecta prudemment l’entrée d’un bâtiment.

Un soldat hurla et s’écroula au pied de Kraft. Ce dernier soupesa amoureusement sa masse d’arme.

« -Une masse d’arme ? Tu as amené une masse d’arme avec toi ! » S’étrangla Lambert.

« -Eh bien quoi ? J’aime le travail artisanal. A l’ancienne ! »

Une rafale de mitraillette résonna à leurs oreilles.

« -C’est bien joli le travail à l’ancienne, mais il va falloir autre chose pour s’en tirer. En face, ils ne font pas dans la dentelle. Ils seraient même plutôt du genre boucherie en gros si tu vois ce que je veux dire. »

« -Oh je vois. Si on ne laisse pas les artistes s’exprimer…alors laissons la place à cette froide modernité sans âme et sans fantaisie. »

Il s’empara d’une grenade qu’il dégoupilla rapidement avant de la balancer sur un groupe de soldats qui s’éparpilla aussitôt. Non, non, au sens propre.

« -J’agis, mais je réprouve. Où est la poésie d’un bon vieux massacre à l’ancienne… »

« -Ta gueule, barrons- nous ! »

D’autres soldats avaient surgi à l’angle d’une bâtisse et les deux hommes se replièrent rapidement.

A un autre bout de la grande place, monsieur Groot et Mourand tenaient en respect une vingtaine de soldats qui s’abritaient tant bien que mal derrière ce qui semblait être un magasin d’accessoires.

Il faut dire que monsieur Groot était impressionnant. Une mitraillette soigneusement calée sur la hanche, il arrosait sans discrimination tout ce qui pointait son nez dans sa direction. Pour une fois, il ne semblait pas penser à un bilan comptable ni à un conseil d’administration. Monsieur Groot était devenu un guerrier. Enfin pour la soirée.

Mourand avait sorti quelque chose de son sac à dos et bricolait gentiment.

Entre deux rafales, Groot lui dit :

« -Si ce n’est pas trop te demander, tu pourrais me donner un coup de main ? »

« -Mais c’est ce que je fais. »

Mourand se releva triomphalement, tenant dans ses mains…une voiture de pompier ! 

« -Je ne voudrais pas apparaître comme quelqu’un de particulièrement désagréable, mais tu crois vraiment que c’est le moment de jouer aux petites voitures. Je sais bien qu’une trop forte tension nerveuse,… »

« -Mais non, regarde ! »

Mourand posa la voiture de pompiers à ses pieds et sortit une télécommande qu’il alluma. Aussitôt, la voiture partit en direction des soldats avec un joyeux pin-pon qui ne manqua pas de les surprendre, du moins jusqu’au moment où elle explosa, moment où ils ne furent plus surpris du tout, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. ! »

« -Alors, qu’est-ce que tu penses des explosifs améliorés de Vandevoer ? »

« -Mais pourquoi une voiture de pompier ? » interrogea monsieur Groot, pensivement.

Mourand n’eut pas le temps de répondre. Un grondement sourd fit trembler le sol sous leurs pieds et dans un rugissement de moteurs au supplice, un char tourna l’angle de la maison devant eux.

« -Un char d’assaut ! » s’étrangla monsieur Groot.

« -Une retraite stratégique s’impose ! »

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